Le Maroc fait partie des rares pays bénéficiant d’un double accès à la mer Méditerranée et à l’océan Atlantique. En Europe, seuls la France et l’Espagne partagent cette particularité, et dans une moindre mesure, la Grande-Bretagne grâce à Gibraltar. En Afrique, le royaume chérifien est le seul pays à posséder cette configuration géographique, avec plus de 500 kilomètres de littoral méditerranéen et plus de 3 000 kilomètres de littoral atlantique. Cette zone côtière abrite les principales agglomérations du pays, les plus fortes densités démographiques, ainsi que les principales infrastructures de communication, soutenant les activités économiques cruciales pour le développement national.
Il n’est donc pas surprenant que le royaume ambitionne de plus en plus de développer son économie maritime. Cette aspiration a été soulignée par Mohamed VI le 6 novembre 2023, lors du discours marquant l’anniversaire de la Marche verte. Il y a présenté une réorientation géostratégique de la politique maritime marocaine : « Si par sa façade méditerranéenne, le Maroc est solidement arrimé à l’Europe, son versant atlantique lui ouvre, quant à lui, un accès complet sur l’Afrique et une fenêtre sur l’espace américain. C’est la raison pour laquelle nous sommes déterminés à entreprendre une mise à niveau nationale du littoral incluant la façade atlantique du Sahara marocain. Nous sommes également attachés à ce que cet espace géopolitique fasse l’objet d’une structuration de portée africaine. »
Tout indique donc que le royaume entend exploiter le potentiel de sa façade atlantique africaine, encore largement inexploité. Cette zone recèle en effet des ressources halieutiques abondantes ainsi que de nombreuses opportunités pour de grands groupes français. La construction du grand port de Dakhla Atlantique, annoncée dès le 6 novembre 2015, s’inscrit dans la stratégie portuaire 2030 établie par le ministère de l’Équipement et des Transports. Ce port sera desservi par des navires porte-conteneurs avec des liaisons « fédérisées » vers les grands ports majeurs de la région, tant nationaux qu’étrangers, notamment Casablanca, Tanger-Med et Las Palmas. Il permettra également d’approvisionner l’économie régionale en intrants industriels, énergétiques et en biens de consommation.
Du Cap de Bonne-Espérance au Cap Spartel
La stratégie atlantique marocaine s’inscrit dans une dynamique africaine renouvelée, repensée à la lumière de la signature de l’Accord de libre-échange avec les États-Unis et de la mise en place du Processus des États Africains de l’Atlantique (PEAA). Initié à Rabat en 2009 et réactivé en 2020, le PEAA vise à créer un espace allant « du Cap de Bonne-Espérance au Cap Spartel ». Cet espace, qui représente 46 % de la population africaine et 55 % du PIB continental, sera crucial pour les échanges commerciaux futurs. Le programme d’action de ce plan s’articule autour de l’économie bleue et du développement durable de l’environnement marin, incluant également un volet sécuritaire.
L’Atlantique africain présente de nombreux défis sécuritaires nécessitant une augmentation des capacités de projection militaire. La piraterie, le terrorisme, la pêche illégale et les divers trafics constituent des enjeux majeurs pour les pays possédant une zone économique exclusive étendue. La mise à niveau du littoral, par la construction d’infrastructures, et le renforcement de la flotte de la marine royale sont des conditions indispensables à cette tentative de développement sud-sud originale. Dans ce cadre, l’Europe, et en particulier la France, auront de nombreuses opportunités économiques à saisir.
La réflexion marocaine découle d’un ressenti légitime d’être souvent perçu comme situé en périphérie de la géographie africaine du nord, alors que sa façade atlantique lui offre la possibilité de désenclaver les pays situés à l’est, à commencer par ceux du Sahel, actuellement dans une situation politique et militaire incertaine. Ce projet atlantique marocain devient ainsi un facteur d’intégration régionale et de développement pour les États du Sahel. Cela impliquera nécessairement la construction d’une flotte nationale de marine marchande. Alors que 80 % du commerce mondial se fait par voie maritime, l’Afrique ne concentre que 6 % du trafic mondial, ce qui est de nature à susciter l’intérêt de nos armateurs et de nos entreprises.